le roman et ses personnages


Objet d’étude : le roman et ses personnages
Travail d’écriture : la dissertation

Le sujet
Dans son Essai sur le roman, Georges Duhamel écrit : "Le but suprême du romancier est de nous rendre sensible l'âme humaine, de nous la faire connaître et aimer dans sa grandeur comme dans sa misère, dans ses victoires et dans ses défaites. Admiration et pitié, telle est la devise du roman." Vous discuterez ce point de vue en vous inspirant des romans que vous connaissez.


Le corrigé


Introduction

Selon la théorie aristotélicienne de la tragédie antique, l'effet cathartique que cette forme d'expression doit produire sur ses destinataires repose sur l'éveil en eux de deux sentiments : la terreur et la pitié. Dans son Essai sur le roman (1925), Georges Duhamel s'intéresse aux sentiments qu'éveille en nous la lecture d'un roman : "Le but suprême du romancier est de nous rendre sensible l'âme humaine, de nous la faire connaître et aimer dans sa grandeur comme dans sa misère, dans ses victoires et dans ses défaites. Admiration et pitié, telle est la devise du roman." Le roman est donc présenté comme un révélateur de l'âme humaine, à travers les sentiments d'admiration et de pitié qu'il éveille chez le lecteur. La question qui se pose est de chercher comment l'écriture romanesque parvient à "rendre sensible l'âme humaine".

Pour cela, il conviendra dans un premier temps d'interroger la notion de héros. Puis, nous étudierons comment le processus d'identification induit par la lecture du roman est à l'origine de cette révélation de la diversité psychologique des êtres. Enfin, nous verrons que dans son évolution récente, le roman ouvre de nouvelles perspectives dans sa relation avec le lecteur et dans sa façon de "rendre sensible l'âme humaine".


Plan détaillé

I – Le héros émouvant

"Admiration et pitié, telle est la devise du roman", affirme Georges Duhamel. Ces deux sentiments opposés sont éveillés en nous par les exploits ou les échecs d'un être de fiction : le héros.


1. Le héros épique : à travers ses exploits et sa réussite, nous admirons les qualités humaines qui le portent à surpasser le mal et la médiocrité. Exemple : tous les héros de Walter Scott, ceux qui font rêver Emma Bovary, mais aussi ceux de Chrétien de Troyes, Harry Potter ou James Bond.


2. L'antihéros : ses faiblesses le rendent plus proche du lecteur et suscitent sa compassion. Il est victime de son inadaptation à un monde hostile qui se révèle en creux dans le récit de ses échecs, une autre façon de "rendre sensible l'âme humaine". Exemple : Poil de carotte de Jules Renard, La Religieuse de Diderot.


3. Le héros romantique : par le biais de l'introspection et de l'obsession égotiste, ce type de héros inventé par Goethe et Chateaubriand nous révèle les tourments de l'âme humaine et la difficulté de l'être à trouver dans la société la possibilité de s'épancher, de s'exprimer. Exemple : René, Werther, Adolphe…


II – Le roman miroir

Duhamel stipule que : "Le but suprême du romancier est […] de nous faire connaître et aimer [l'âme humaine] dans sa grandeur comme dans sa misère, dans ses victoires et dans ses défaites." Quand nous entrons dans une œuvre romanesque, nous découvrons un univers de fiction dans lequel nous cherchons toutefois à nous situer, ce que l'écriture rend possible grâce au processus d'identification.


1. L'accès direct à l'autre par la focalisation interne. Le lecteur se "moule" dans un personnage. Exemple : À l'Ouest, rien de nouveau, qui nous plonge dans l'univers terrible de la Première Guerre mondiale. Le "je" nous associe aux épreuves que traversent les soldats et nous confronte aux facettes de l'âme humaine, exacerbées par la guerre.


2. Les romanciers du XIXe siècle ont fait de l'alternance des points de vue leur art. Exemple : dans La Peau de chagrin, Balzac enchâsse dans le récit d'un narrateur externe le poignant récit à la première personne de Raphaël, victime d'une puissance occulte, elle-même révélatrice des rapports que nous entretenons avec le désir.


3. Le choix d'une focalisation zéro permet à l'auteur de transmettre à travers une narration omnisciente toute une palette révélatrice de l'âme humaine : les romans réalistes de Zola offrent ainsi au lecteur, non seulement la vision zolienne du monde, mais aussi sa vision de l'homme, dans toutes les modulations de son âme.


III – Évolution du roman

Quand Georges Duhamel propose sa "devise" en 1925, sa conception du roman s'inspire des grands exemples que nous a apportés le XIXe siècle ; or, le roman évolue considérablement au XXe siècle, et susciter chez leur lecteur "admiration et pitié" n'est plus l'objectif des auteurs contemporains.


1. La fiction spéculative

La science-fiction fonde son succès sur la mise "en espace" de personnages qui, à l'instar des héros épiques, suscitent l'admiration des lecteurs. Ce type de roman peut sembler distant de la réalité humaine. Toutefois, certaines œuvres, par une approche plus spéculative, posent au lecteur des questions éthiques et métaphysiques. Le lecteur est ainsi placé dans un rôle plus actif, invité au questionnement et à la réflexion. Exemple : œuvres de Frank Herbert, d'Aldous Huxley, de George Orwell


2. Le choix de la provocation

L'onde de choc de la Première Guerre mondiale a eu des répercussions dans l'écriture romanesque : les "héros" du Diable au corps ne suscitent ni admiration ni pitié, mais révèlent un bouleversement des valeurs morales. De façon plus littéraire, Céline se place également sur le plan de la provocation, et nous renvoie par le biais d'un antihéros rebelle et immoral, à nos propres valeurs. Le dernier exemple en date est celui des Bienveillantes, de Jonathan Littell (2006), qui décrit par le menu le parcours d'un tortionnaire nazi.


3. Le nouveau roman

En révélant la perversité de l'être, des romanciers comme Laclos, Sade ou Littell ne suscitent ni admiration ni pitié, mais n'en révèlent pas moins l'âme humaine. Quelles émotions les auteurs du nouveau roman cherchent-ils à éveiller en nous ? Aucune. Dépourvus de toute épaisseur psychologique, leurs personnages évoluent dans un univers qui n'est porteur d'aucun message, d'aucune vision. Cette écriture "blanche" nous fait toutefois prendre conscience, non pas de notre âme, mais de notre existence, par comparaison avec les objets qui nous entourent, ni plus ni moins.

Exemple : La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, les œuvres de Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Claude Simon, ou L'Étranger de Camus, ouvrage qui ne relève pas à proprement parler du nouveau roman, mais qui l'a inspiré.


Conclusion

Sans doute inspirée par les romans du XIXe siècle, la réflexion de Georges Duhamel trouve toute sa justification dans les œuvres emblématiques du roman d'apprentissage : suscitant la compassion du lecteur, les héros de ces romans se révèlent au fil des chapitres, et confrontés à des épreuves successives, finissent par éveiller l'admiration du lecteur. Ce type de parcours fictif permet effectivement au romancier de "rendre sensible l'âme humaine", notamment par l'artifice des changements de point de vue.

Prétendre qu'il s'agit là du "but suprême" du romancier est toutefois très personnel : l'écriture blanche du nouveau roman ne se préoccupe pas d'une telle devise ; elle plonge le lecteur dans un questionnement plus existentiel… ou plus matérialiste… Œuvre de création, le roman est également un objet de consommation, et l'on pourrait se demander si le but suprême du romancier d'aujourd'hui n'est pas d'occuper la tête de gondole qui lui assurera les meilleures ventes…


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